Beaucoup d'illusions sont créées et entretenues au sujet du système de démocratie dite représentative alors que tous peuvent voir que ce système ne les représente pas. En vertu des arrangements actuels, le peuple n'exerce aucun contrôle sur les prises de décision. Ces institutions, au Québec comme dans tout le Canada, ont été établies suivant l'expérience britannique d'édification nationale du XIXe siècle qui a conservé la « prérogative royale » et maintenu les privilèges entre les mains d'une infime minorité, ce qui était l'essence de l'absolutisme et de la notion archaïque du « droit divin des rois ». Que cette petite minorité soit dirigée par un monarque, un président ou un premier ministre, la plupart des organes du pouvoir ou bien ne sont pas élus, ou bien sont élus selon un processus qui empêche le peuple d'exercer une démocratie conséquente selon le principe « du peuple, par le peuple et pour le peuple ».
Ce sont autant de leçons pouvant être tirées du référendum de 1995.
Formulée par le parti majoritaire à l'Assemblée nationale, le Parti québécois, la question référendaire de 1995 était : « Acceptez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique, dans le cadre du projet de loi sur l'avenir du Québec et de l'entente signée le 12 juin 1995 ? »
Un peu plus de 5 millions d'électeurs, soit 93,25 % des personnes ayant droit de vote, se sont exprimés. C'était un taux de participation record au Québec. Le projet fut rejeté par 50,58 % des votants, contre 49,42 % en faveur. L'écart entre le « oui » et le « non » a été de 54 288 voix.
L'objectif déclaré du projet de loi numéro 1, l'Avant-projet de loi sur la souveraineté du Québec, était de donner à l'Assemblée nationale le pouvoir de déclarer la souveraineté du Québec et de réclamer « le pouvoir exclusif de faire toutes ses lois, de percevoir tous ses impôts et de conclure tous ses traités ». Il prévoyait l'ébauche d'une nouvelle constitution du Québec, le maintien des frontières actuelles, la création d'une citoyenneté québécoise, l'utilisation du dollar canadien et le maintien des lois et programmes sociaux en vigueur. Il prévoyait aussi que le gouvernement du Québec propose un traité de partenariat avec le reste du Canada basé sur l'entente tripartite signée le 12 juin 1995 par le chef du Parti québécois Jacques Parizeau, le chef du Bloc québécois Lucien Bouchard et le chef de l'Action démocratique Mario Dumont. Cette entente contenait certaines propositions convenues par les trois chefs qu'un Québec souverain ferait au Canada pour définir les relations entre les deux pays.
Le projet de loi numéro 1 est passé en première lecture à l'Assemblée nationale et le gouvernement en a envoyé une copie à tous les foyers du Québec accompagnée de l'accord tripartite Parizeau-Bouchard-Dumont, en préparation pour le référendum.
Le projet de loi a vite trouvé un grand appui dans la société québécoise parce que le moment était opportun et les conditions favorables à la déclaration de la souveraineté du Québec. Les forces progressistes du Québec et du Canada ont également reconnu qu'il y avait urgence à établir un nouveau partenariat économique et politique entre le Québec et le Canada. Le référendum de 1995 s'imposait comme façon de briser l'impasse créée par l'intransigeance libérale envers la souveraineté du Québec ainsi que plus généralement envers le renouveau démocratique et un nouveau partenariat économique et politique entre le Québec et le Canada. Le mécontentement face aux arrangements constitutionnels avait pris de l'ampleur partout au Canada, pas seulement au Québec. Le Forum des citoyens sur l'avenir du Canada de 1990, auquel les gens ont participé en très grand nombre, a montré que les Canadiens ne faisaient pas assez confiance aux politiciens pour les laisser rédiger la constitution et réclamaient des changements en profondeur dans le processus politique. Le besoin d'une constitution moderne et de nouveaux arrangements pour remplacer l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 basé sur la négation de la nation du Québec et des Premières Nations et la nécessité d'investir le peuple du pouvoir de décider de toutes les questions qui le concernent étaient à l'ordre du jour et l'est toujours aujourd'hui.
Le référendum de 1995 était un geste audacieux après près de 25 ans de pourparlers sur la place du Québec dans la Confédération, de soi-disant efforts de réforme constitutionnelle et des initiatives du Québec pour affirmer sa souveraineté : on pense à l'échec du référendum québécois de 1980, à l'échec de l'accord du Lac Meech en 1990, au rejet de l'Accord de Charlottetown par les Canadiens dans le référendum de 1992. C'est sans parler de la période d'effervescence à la fin des années 1960 au Québec autour de la lutte pour la libération nationale et la souveraineté. Les tentatives du gouvernement de Pierre Elliott Trudeau d'écraser la lutte du peuple québécois pour la nation par l'imposition de la Loi sur les mesures de guerre sur le territoire du Québec le 16 octobre 1970 avaient échoué. Loin de se laisser écraser, la jeunesse étudiante et d'autres collectifs avaient résisté à l'occupation militaire et avaient obtenu des appuis de partout au Canada.
Durant la période menant au référendum, les libéraux dirigés par Jean Chrétien, chef du Parti libéral du Canada, et Daniel Johnson, le chef du Parti libéral du Québec, ont dressé tous les obstacles possibles à une discussion sereine sur les besoins de la nation québécoise et le besoin d'une constitution moderne pour le Canada. Ils ont recouru aux mensonges, à la déformation, à la menace et au chantage pour subvertir tout effort de discussion raisonnée. Le « camp du non » a commis des infractions répétées à la Loi référendaire du Québec, notamment en ce qui concerne les limites des dépenses.
L'État colonial anglo-canadien appuyé par tout l'establishment canadien, y compris les grandes entreprises publiques et privées comme Via Rail, Air Canada et Radio-Canada, a mené une vile campagne de peur et s'est livré à toutes sortes de tactiques illégales contrevenant à la Loi référendaire du Québec pour assurer la victoire du Non. Des sommes ont été versées à des individus et à des entreprises dans cet effort concerté pour priver la nation du Québec de la souveraineté. Il y a eu les « manifestations d'unité », dont la dernière – le rassemblement de l'unité du 27 octobre 1995 –, ou les appels interurbains gratuits enfreignant la Loi sur la consultation populaire du Québec. Il y a également eu la pratique permanente de corruption des leaders ethniques, l'accommodement de gens en position d'influence par des promesses d'emplois, de subventions et d'autres récompenses pour atteindre des fins politiques. Les libéraux sont passés maîtres dans ce genre de chose, pas seulement à Montréal, mais dans tout le pays.
Beaucoup d'efforts ont été faits après le référendum de 1995 pour élargir le mouvement d'indépendance nationale et « tendre la main » aux minorités nationales. Or, sans embrasser résolument et emphatiquement la définition moderne de la nation, on retombe dans ce qu'on appelle le modèle d'« intégration », le modèle européen ou français qui est l'autre versant du multiculturalisme canadien raciste à la moëlle. Le Parti québécois n'a pas été capable de s'élever bien au-dessus de la nation « française » ou « francophone ». Même après avoir pris le pouvoir après la défaite de Jean Charest à l'élection de 2012, entre autres à cause de sa loi matraque contre les étudiants du Québec au printemps 2012, le Parti québécois de Pauline Marois a maintenu cette vision désuète et divisive de la nation sur des bases linguistiques et imposé plus tard sa charte des valeurs sur des bases religieuses et vestimentaires, qui a mené à sa défaite.
L'incapacité du mouvement pour l'indépendance de sortir de ces carcans, qui comprend une opposition quasi haineuse entre partisans de politiques sociales « de gauche » et « de droite », le camp du « oui » et le camp du « non », etc., explique aussi l'échec à mobiliser la vaste majorité des Québécois autour d'un projet commun d'État souverain et moderne et d'un Québec qui défend les droits de tous.
Au lendemain de la défaite du référendum de 1995, il était évident qu'il fallait mettre tout en oeuvre pour ne plus cantonner le projet de souveraineté dans une définition dépassée et restreinte de la nation. Beaucoup ont reconnu cette réalité. Un État moderne ne se construit pas en fonction de la descendance. Un État moderne se construit autour de grands idéaux et un des grands idéaux de l'ère moderne est la création d'un système politique dans lequel tous ont des droits qui sont garantis du fait qu'ils sont des êtres humains.
Aujourd'hui, la lutte pour la souveraineté moderne, la souveraineté du peuple, se pose dans les batailles qu'il mène dans le moment présent. Elle repose dans les mains des travailleurs, les jeunes, les femmes, les différents collectifs qui forment le Québec et doit être au centre des solutions de tous les problèmes auxquels est confrontée la société sur la voie du progrès. C'est le problème auquel les travailleurs sont confrontés et qu'ils sont en train de résoudre en plein coeur de la pandémie en ce moment en défendant leur sécurité, celle de leurs pairs et de l'ensemble de la population. Les vieilles institutions dites démocratiques de même que le système de partis cartellisés sont en faillite et les empêchent de devenir les décideurs dans leurs endroits de travail, les hôpitaux, les écoles et les communautés. C'est le même blocage auquel ils sont confrontés dans l'affirmation de la souveraineté du peuple, de son droit de décider de tout ce qui le concerne. Il n'y a pas de muraille de Chine entre les deux.
Depuis, rien n'a changé. La position libérale actuelle (qu’elle soit fédéraliste, autonomiste ou nationaliste-opportuniste elle demeure libérale) montre que les partis cartellisés n'ont pas abandonné leur conception arriérée de grand empire britannique qui refuse le droit à la souveraineté et le droit du peuple de décider. Elle ramène les vieux clichés de pouvoir et de rivalité entre les provinces et le Canada et nie la nécessité objective de régler les torts qui ont été rejetés un après l'autre. Ce qui est inachevé est l'application du droit du peuple de décider et celui de parler en son propre nom.