Guerre Israël-Palestine : l’objectif final d’Israël est bien plus sinistre qu’un rétablissement de la « sécurité »

Richard Falk

17 novembre 2023

Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a récemment été cloué au pilori par Israël après avoir énoncé une lapalissade en observant que l’offensive du Hamas du 7 octobre ne s’était pas produite « en dehors de tout contexte ».

António Guterres a attiré l’attention du monde sur la longue série de provocations criminelles graves commises par Israël en Palestine occupée depuis qu’il est devenu la puissance occupante à l’issue de la guerre des Six Jours.

L’occupant, dont le rôle est censé être temporaire, est chargé dans ces circonstances de faire respecter le droit humanitaire international en assurant la sécurité et la sûreté de la population civile occupée, comme le prévoit la quatrième Convention de Genève, relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre.

Si Israël a réagi avec tant de colère aux propos tout à fait appropriés et justes d’António Guterres, c’est parce qu’ils peuvent laisser entendre qu’Israël l’a « bien cherché » compte tenu des violations graves et variées qu’il a commises à l’encontre de la population des territoires palestiniens occupés, tout particulièrement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie et à Jérusalem. 


Après tout, tant qu’Israël peut se présenter au monde comme une victime innocente de l’offensive du 7 octobre – qui comporte également son lot de crimes de guerre –, il peut raisonnablement espérer obtenir carte blanche de la part de ses protecteurs occidentaux pour riposter à sa guise, sans se soucier des contraintes du droit international, de l’autorité de l’ONU ou de la morale commune.

En effet, Israël a réagi à l’offensive du 7 octobre avec l’habileté qui le caractérise pour manipuler le discours mondial qui façonne l’opinion publique et oriente les politiques étrangères de nombreux pays majeurs.

Ces tactiques semblent presque superflues dans le cas présent, puisque les États-Unis et l’Union européenne (UE) se sont empressés d’approuver en bloc toutes les mesures prises par Israël en réponse à l’attaque, qu’elles soient vengeresses, cruelles ou sans rapport avec le rétablissement de la sécurité aux frontières israéliennes.

Étrange et inquiétant

Si le discours d’António Guterres à l’ONU a eu un impact aussi spectaculaire, c’est parce qu’il a crevé le ballon d’innocence savamment gonflé par Israël, dans lequel l’offensive du 7 octobre venait de nulle part.

Cette exclusion du contexte a détourné l’attention de la dévastation de Gaza et de l’assaut génocidaire contre ses 2,3 millions d’habitants, innocents et depuis longtemps persécutés.

Ce que je trouve étrange et inquiétant, c’est qu’en dépit du consensus selon lequel l’offensive du Hamas n’a été rendue possible que par d’extraordinaires lacunes dans les capacités de renseignement prétendument inégalées d’Israël ainsi que dans la sécurité renforcée des frontières, il a rarement été question de ce facteur depuis ce jour.

Au lieu de se laisser envahir par une fureur vengeresse dès le lendemain, pourquoi n’a-t-on pas cherché, en Israël et ailleurs, à prendre des mesures d’urgence pour rétablir la sécurité israélienne en corrigeant ces défaillances coûteuses, ce qui semblerait être le moyen le plus efficace de s’assurer que plus rien de comparable au 7 octobre ne puisse se produire à nouveau ?

Je peux comprendre la réticence du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou à mettre l’accent sur cette explication ou à préconiser cette forme de réponse, puisque cela reviendrait à avouer sa propre part de responsabilité dans le traumatisme vécu par Israël lorsque des combattants palestiniens ont massivement franchi la frontière.

Mais qu’en est-il des autres responsables en Israël et des gouvernements qui le soutiennent ?

Il ne fait aucun doute qu’Israël déploie actuellement tous les moyens à sa disposition, avec un sentiment d’urgence, pour combler ces incroyables lacunes dans son système de renseignement et pour renforcer ses capacités militaires le long de sa frontière relativement courte avec Gaza.

Il est inutile d’être un spécialiste de la sécurité pour conclure qu’une résolution efficace de ces questions sécuritaires contribuerait davantage à prévenir et à décourager les futures attaques du Hamas que la saga actuelle de châtiments dévastateurs infligés aux Palestiniens de Gaza, qui ne sont que très peu à être impliqués dans la branche militaire du Hamas.

Netanyahou a rendu ces spéculations encore plus plausibles en présentant une carte du Moyen-Orient sans la Palestine, effaçant de fait les Palestiniens de leur propre patrie, lors d’un discours à l’ONU en septembre où il a parlé d’une nouvelle paix au Moyen-Orient dans la perspective d’une normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite. Sa présentation équivalait à un déni implicite du consensus de l’ONU sur la formule à deux États en tant que feuille de route pour la paix.

En parallèle, la fureur génocidaire qui imprègne la réponse d’Israël à l’offensive du Hamas suscite la colère des populations dans le monde arabe et le reste du monde, même dans les pays occidentaux.

Néanmoins, après quatre semaines de bombardements impitoyables, de siège total et de déplacements massifs forcés, le pouvoir dont jouit Israël de déverser à sa discrétion ce torrent de violence sur Gaza n’a pas encore été remis en cause par ses partisans occidentaux.

Les États-Unis, en particulier, soutiennent Israël à l’ONU, en usant de leur droit de veto dès que nécessaire au Conseil de sécurité et en votant sans la moindre solidarité des pays majeurs contre un cessez-le-feu à l’Assemblée générale.

Même la France a voté en faveur de la résolution de l’Assemblée générale, tandis que le Royaume-Uni a eu la décence de s’abstenir. Ces deux pays réagissent probablement de manière pragmatique aux pressions populistes exercées par d’importantes manifestations de colère dans leurs rues.

Objectif final du projet sioniste

Dans la réaction aux tactiques israéliennes à Gaza, il a également été oublié que dès le premier jour, le gouvernement extrémiste a lancé une série choquante de provocations violentes dans toute la Cisjordanie occupée. Nombreux sont ceux qui ont interprété ce déchaînement non dissimulé de violence des colons comme un élément à part entière de l’objectif final du projet sioniste, visant à triompher des vestiges de la résistance palestinienne.

Il n’y a guère de raison de douter qu’Israël a délibérément réagi de manière excessive au 7 octobre en s’engageant immédiatement dans une réponse génocidaire, en particulier si son objectif était de détourner l’attention de l’escalade de violence des colons en Cisjordanie, exacerbée par la distribution d’armes à feu aux « équipes de sécurité civile » par le gouvernement.

Le plan ultime du gouvernement israélien semble être de mettre fin une fois pour toutes aux fantasmes de partage entretenus par l’ONU en consolidant l’objectif maximaliste sioniste, à savoir l’annexion ou l’assujettissement total des Palestiniens de Cisjordanie.

Dans les faits, aussi abominable que cela puisse paraître, les dirigeants israéliens ont saisi l’opportunité du 7 octobre pour « finir le travail » en commettant un génocide à Gaza, sous prétexte que le Hamas représentait un danger tel qu’il justifiait non seulement sa destruction, mais aussi cet assaut aveugle contre l’ensemble de la population.

Mon analyse m’amène à conclure que cette guerre n’est pas liée en premier lieu à la sécurité à Gaza ou à la menace sécuritaire posée par le Hamas, mais plutôt à quelque chose de beaucoup plus sinistre et terriblement cynique.

Israël a saisi cette opportunité pour concrétiser ses ambitions territoriales sionistes dans le « brouillard de guerre » en provoquant une ultime vague catastrophique de dépossession à l’encontre des Palestiniens.

Sa qualification de « nettoyage ethnique » ou de « génocide » n’a qu’une importance secondaire, bien qu’il faille déjà la considérer comme l’une des plus grandes catastrophes humanitaires du XXIe siècle.

Dans les faits, le peuple palestinien est victime de deux catastrophes convergentes : l’une politique, l’autre humanitaire.

- Richard Falk est un spécialiste en droit international et relations internationales qui a enseigné à l’université de Princeton, aux États-Unis, pendant 40 ans. En 2008, il a été nommé par l’ONU pour un mandat de six ans en tant que Rapporteur spécial sur les droits de l’homme dans les territoires palestiniens.

"En vertu de la législation gouvernementale canadienne, le contenu de nouvelles ne peut pas être partagé."

Christian Legeais, agent officiel du parti marxiste léniniste du Québec
Politique de confidentialité